L’Afrique face au défi de son développement industriel (par Alioune Badara Sy)
A l’occasion 22ème sommet de l’Union Africaine consacrée à l’agriculture et la sécurité alimentaire et qui se tient à Addis Abéba en Ethiopie jusqu’au 31 janvier, éclairage sur les grands défis auxquels sont confrontés le développement industriel du continent.
Malgré son milliard d’habitants, soit 15% de la population mondiale, le poids de l’Afrique tout entière dans la production manufacturière mondiale est seulement de 1,1%.Ce chiffre, marquant et alarmant est l’un des enseignements d’un rapport que viennent de publier deux organisations spécialisées des Nations Unies : la CNUCED (pour le développement) et l’ONUDI (pour l’industrie). Notre continent reste donc totalement marginalisé en matière d’industrie et ces dernières décennies sa croissance a été essentiellement tirée par les produits de base et les services. En fait, le taux de la valeur ajoutée manufacturière (VAM) dans le PIB africain qui était de 12,8 % en 2000 a même chuté à 9,5 % en 2012.
Qui plus est, l’essentiel de l’appareil productif africain repose sur un nombre restreint de pays, à savoir pour l’essentiel l’Afrique du Sud, l’Egypte, l’Ile Maurice, la Tunisie, le Maroc, l’Algérie. La situation est d’autant plus alarmante que si depuis l’an 2000, le poids de l’Afrique dans la production manufacturière mondiale stagne à 1%, la part des pays en développement asiatiques est passée, elle, de 13% à 25%, Chine en tête, dans le même temps.
Depuis 20 ans pour asseoir leur développement économique beaucoup de pays asiatiques se sont appuyés sur l’industrie notamment les activités à forte intensité de main d’œuvre. Malgré sa plus grande proximité avec le marché européen, ce modèle n’a pas fonctionné pour l’Afrique.
Les raisons de cette situation sont multiples. Elles vont du manque de « compétitivité-prix », à la taille réduite de beaucoup de marchés intérieurs en passant par le poids du secteur informel et des petites entreprises, la faiblesse des soutiens publics, la bureaucratie et la corruption ou l’instabilité politique. Des indicateurs qui se reflètent dans le classement souvent médiocre de bien des pays d’Afrique dans le « Doing Business » de la Banque mondiale.
Il faut aussi compter avec la dépendance de nombreuses économies aux matières premières (pétrole, mines, produits agricoles…) qui selon un schéma classique et paradoxal handicapent souvent le développement d’autres activités industrielles.
Ainsi selon le rapport, 50% des exportations africaines de biens manufacturés sont directement liées aux ressources naturelles quand, dans les pays en développement d’Asie ou d’Amérique latine, cette part a été divisée par deux en dix ans et n’est plus que de 13%. Bref, pour l’Afrique, l’important n’est pas tant ses ressources naturelles que sa capacité de monter en gamme. Mais les experts des Nations-Unies assurent que la bataille n’est pas perdue.
Selon eux, le continent peut jouer sa carte dans l’industrie mondiale et asseoir en partie son développement sur le secteur secondaire, en s’appuyant sur ses entrepreneurs et aussi les investissements directs étrangers, notamment les flux « sud-sud » (Chine, Inde, Brésil.). De fait, certains pays africains ont de beaux succès en matière d’accueil d’investisseurs comme le montre l’implantation du japonais Sumitomo au Maroc, les investissements dans l’automobile (BMW, Ford.) en Afrique du Sud ou ceux de Lafarge en Afrique de l’est.
POUR DES POLITIQUES INDUSTRIELLES VOLONTARISTES
Le cabinet Ernst & Young a même publié un rapport sur l’attractivité du continent intitulé « It’s time for Africa » battant en brèche l’afro-pessimisme et soulignant les perspectives de croissance de nombreuses nations africaines et de leurs entreprises. Des projections qui attendent toutefois confirmation : en 2010, sur un flux mondial d’investissements étrangers total de 1 121 milliards de dollars l’Afrique n’a attiré que 50 milliards de dollars selon la CNUCED, pour beaucoup dans les matières premières et les services (télécom notamment).
Pour assurer le développement manufacturier des pays africains, la CNUCED et l’ONUDI plaident aussi pour la mise en place de politiques industrielles volontaristes, tirant les leçons du passé. Car la crise a remis l’Etat et les politiques industrielles au centre du jeu dans bien des nations développées. Cela doit se faire en Afrique aussi. C’est le bon moment. Ce concept ne doit plus être un tabou.
Les recommandations des experts de la CNUCED à ce sujet sont pourtant assez convenues. Elles mettent l’accent sur la promotion de l’innovation, la formation et la qualité, le renforcement des capacités d’action des administrations ou l’entreprenariat. Autant de vœux pieux s’ils ne sont pas accompagnés de mesures plus structurelles que ce rapport mentionne aussi. Il s’agit de l’accès au crédit pour les entreprises, de la stabilité des politiques macro-économiques privilégiant l’offre, de la bonne gouvernance ou de la stabilité politique gage du temps long nécessaire à l’industrie.
Les experts des Nations-Unies recommandent enfin une plus grande intégration régionale. Il n’est plus concevable que chaque pays, même peuplé de quelques millions d’habitants puisse penser développer à lui seul tout un ensemble de filières industrielles. Les stratégies industrielles doivent se penser dans un ensemble.
En la matière, les institutions économiques régionales en place comme la CEDEAO (Afrique de l’ouest) ou la SEADC (Afrique australe) ont un rôle immense à jouer via l’harmonisation des politiques commerciales, la mise en place de réglementations communes ou des projets partagés d’infrastructures. En concrétisant des initiatives comme celles de la CEDEAO qui le 2 juin 2010 s’était accordée sur une politique industrielle commune.